Les peptides sont des chaînes courtes d'acides aminés qui peuvent se lier à des protéines et modifier leur fonction. Ils présentent une forte affinité de liaison, une faible toxicité, et sont faciles à synthétiser, ce qui rend les peptides parfaits pour le développement de médicaments. Beaucoup de peptides d'origine naturelle, tels que l'insuline, l'ocytocine, la somatostatine et les antibiotiques vancomycine et polymyxine B, sont déjà utilisé de cette manière.
Néanmoins, l'utilisation de peptides comme médicaments soulève deux questions. D'abord, l'affinité de liaison: une bonne liaison exige des architectures peptidiques difficiles et des séquences d'acides aminés qui sont parfaitement complémentaires en forme et en charge à la surface de leur protéine cible. Ensuite, la stabilité du peptide: il peut potentiellement être découpé par des enzymes (protéases) en des fragments plus petits et inutilisables, ou même en acides aminés simples.
Le laboratoire de Christian Heinis à l'EPFL vient de relever ces deux défis en développant le nouveau format de peptide qu'ils appellent «peptides à double pontage». Ce sont des chaînes de 10-15 acides aminés, parmi lesquels quatre sont connectés chimiquement par deux ponts. Chaque pont relie une paire d'acides aminés de cystéine - quatre au total.
Puisque les quatre cystéines peuvent être disposées de nombreuses manières le long de la séquence d'acides aminés, la stratégie de double pontage a permis aux chercheurs de générer un nombre immense d'architectures de peptides structurellement différentes. Ils ont poussé la diversité encore plus loin en utilisant différents réactifs chimiques qui ont accru le nombre de ponts. Les scientifiques ont également découvert que les quatre cystéines pouvaient être jointes par deux lieurs de trois manières différentes, faisant émerger trois architectures différentes de chaque séquence de peptide unique.
Avec cette stratégie, les chercheurs ont produit une énorme diversité de structures peptidiques, toutes ayant des structures de «squelette» différentes. De plus, les chimistes ont systématiquement changé les acides aminés entre les cystéines et généré des bibliothèques de millions de peptides à double pontage différents. Après analyse des bibliothèques, les chercheurs ont pu isoler des lieurs à haute affinité pour des protéines cibles importantes.
L'une de ces cibles était la kallicréine, une protéine du plasma associée à l'angiodème héréditaire, un trouble inflammatoire rare. Une autre était l'interleukine-17, une protéine cytokine impliquée dans plusieurs troubles inflammatoires tels que la polyarthrite rhumatoïde et le psoriasis. En usant de l'approche à double pontage pour ces deux protéines cibles, les scientifiques ont développé des peptides qui pouvaient se lier de manière efficace à des concentrations nanomolaires. Dans le cas de la kallikréine, les peptides ont pu se lier pendant plus d'une heure avant de se dissocier.
La stabilité s'est aussi avérée être une caractéristique très avantageuse du nouveau format de peptide. Les peptides à double pontage sont à peine dégradés par les protéases du sang, ce qui constitue un avantage considérable, car cela empêche l'élimination trop rapide des peptides et prolonge donc leurs effets thérapeutiques.
Sur la base de ces résultats, le laboratoire de Heinis applique désormais le format de peptide à de nombreuses autres cibles pathologiques. Il a d'ores et déjà développé de nouvelles bibliothèques, plus vastes, de peptides à double pontage, et les a analysées par rapport à une série de cibles correspondant à des maladies. Un de ces peptides est déjà en cours d'évaluation préclinique.
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Financement
Fonds National Suisse (NCCR Chemical Biology)
Référence
Sangram S. Kale, Camille Villequey, Xu-Dong Kong, Alessandro Zorzi, Kaycie Deyle, Christian Heinis. Cyclization of peptides with two chemical bridges affords large scaffold diversities. Nature Chemistry 30 April 2018. DOI: 10.1038/s41557-018-0042-7
Journal
Nature Chemistry