image: From this type of sample, ancient DNA techniques enable the reconstruction of human and pathogen genomes from the past. In the back, a Wiphala flag representing Indigenous communities of South America.
Credit: © Nicolas Rascovan, Institut Pasteur
Longtemps considérée comme une maladie introduite en Amérique par les colonisateurs européens, la lèpre pourrait en réalité avoir une histoire beaucoup plus ancienne sur le continent américain. Des scientifiques de l’Institut Pasteur, du CNRS et de l’Université du Colorado (Etats-Unis), en collaboration avec diverses institutions d’Amérique et d’Europe, révèlent qu’une deuxième espèce de bactérie responsable de la lèpre récemment identifiée, Mycobacterium lepromatosis, infecte les humains en Amérique depuis au moins 1 000 ans, soit plusieurs siècles avant l’arrivée des Européens. Ces travaux sont publiés dans la revue Science le 29 mai 2025.
La lèpre est une maladie négligée, causée principalement par la bactérie Mycobacterium leprae, qui touche environ 200 000 personnes par an. Bien que M. leprae en soit encore la cause principale, cette étude s’est intéressée à une autre espèce, Mycobacterium lepromatosis, découverte en 2008 aux Etats-Unis chez un patient, puis en 2016 chez des écureuils roux dans les îles Britanniques.
Dirigée par des scientifiques du laboratoire de Paléogénomique microbienne de l’Institut Pasteur, associés aussi au CNRS, et de l’Université du Colorado, en collaboration avec des communautés autochtones et plus de 40 scientifiques d’institutions internationales dont des archéologues, cette étude a analysé l’ADN de près de 800 échantillons, incluant des restes humains anciens (issus de fouilles archéologiques) et des cas cliniques récents présentant des symptômes de la lèpre. Les résultats confirment que M. lepromatosis était déjà largement répandue en Amérique du Nord et du Sud bien avant la colonisation européenne et permettent de mieux comprendre la diversité génétique actuelle des pathogènes du genre Mycobacterium.
« Cette découverte transforme notre compréhension de l’histoire de la lèpre en Amérique », a déclaré la Dre Maria Lopopolo, première auteure de l’étude et chercheuse au sein du laboratoire de Paléogénomique microbienne à l’Institut Pasteur. « Elle montre qu’une forme de la maladie était déjà endémique parmi les populations autochtones bien avant l’arrivée des Européens. »
L’équipe a utilisé des techniques génétiques de pointe pour reconstruire les génomes de M. lepromatosis à partir d’individus anciens retrouvés au Canada et en Argentine. Malgré la distance géographique de plusieurs milliers de kilomètres, ces souches anciennes datant de périodes similaires (environ il y a 1 000 ans) se sont révélées étonnamment proches génétiquement. Bien qu’elles appartiennent à deux branches distinctes dans l’arbre évolutif du genre Mycobacterium, elles sont plus proches génétiquement l’une de l’autre que de toute autre souche connue. Cette proximité génétique, combinée à leur éloignement géographique, implique nécessairement une propagation rapide du pathogène à travers le continent, probablement en l’espace de quelques siècles seulement.
Les scientifiques ont également identifié plusieurs nouveaux lignages, dont un lignage ancestral apparu il y a plus de 9 000 ans, mais qui continue d’infecter des humains aujourd’hui en Amérique du Nord — une découverte qui suggère une diversification ancienne et durable sur le continent, ainsi qu’une diversité encore largement méconnue à explorer.
Fait notable, les analyses suggèrent également que les souches retrouvées chez les écureuils roux du Royaume-Uni en 2016 font partie d’une lignée américaine qui aurait été introduite dans les îles Britanniques au XIXe siècle, où elle s’est ensuite propagée. Cette découverte met en lumière la capacité récente du pathogène à franchir les continents, probablement par des échanges humains ou commerciaux.
« Nous ne faisons que commencer à découvrir la diversité et les mouvements globaux de ce pathogène récemment identifié. L’étude nous permet notamment d’émettre l’hypothèse qu’il pourrait exister des réservoirs animaux encore inconnus », a déclaré Nicolás Rascovan, auteur principal de l’étude et responsable du laboratoire de Paléogénomique microbienne à l’Institut Pasteur. « Cette étude illustre clairement comment l’ADN ancien et moderne peut réécrire l’histoire d’un pathogène humain et nous aider à mieux comprendre l’épidémiologie des maladies infectieuses contemporaines. »
Le projet s’est déroulé en étroite collaboration avec des communautés autochtones, qui ont été impliquées dans les décisions concernant l’utilisation des restes ancestraux et l’interprétation des résultats. L’ADN ancien et les matériaux restants ont été restitués lorsque cela a été demandé, et les données générées ont été partagées via des plateformes éthiques et modulables, conçues pour permettre un partage des données adaptable aux attentes spécifiques des communautés autochtones.
Journal
Science
Method of Research
Survey
Subject of Research
Human tissue samples
Article Title
Uncovering pre-European contact leprosy in the Americas and its enduring persistence
Article Publication Date
29-May-2025